Une nouvelle approche théorique en psychopathologie

Médecin de formation, après avoir pratiqué la médecine de campagne pendant 23 ans dans un village périgourdin, je me suis réorienté à l’approche de la cinquantaine vers la sexologie, pressentant que ce domaine mystérieux et méconnu n’avait pas encore livré tous ses secrets. Peu convaincu par les thèses freudiennes, je me doutais que l’activité sexuelle, pour être aussi perturbée chez l’être humain, devait être impactée par quelque chose qui n’était pas de l’ordre du désir, mais de l’ordre de la violence.

Et effectivement, la cohorte de patients que j’ai été amené à entendre au cours des 13 années de ma pratique de thérapeute en sexologie m’a confirmé que l’immense majorité des dysfonctions sexuelles, des perversions et des déviances sexuelles, pour ne pas dire de l’ensemble des troubles mentaux (tels que dépressions, phobies, obsessions…) avait pour origine un abus sexuel subi au cours de la petite enfance, comme l’avait d’ailleurs découvert Freud lui-même en 1896 à la suite de l’enseignement de Pierre Janet et de Jean-Baptiste Charcot.

Cette base théorique m’a permis par la suite, mon expérience clinique se voyant enrichie au fil des ans par de nombreuses lectures (et notamment l’anthropologie structurale de Claude Lévi-Strauss qui fut pour moi une révélation), d’élaborer une théorie complète de la genèse traumatique des symptômes psychopathologiques, faussement étiquetés « maladies mentales » par la psychiatrie officielle.

Cette théorie traumatique s’est vue confirmée dans la dernière décennie par de nombreux travaux neuroscientifiques, ce qui a été rendu possible par l’arrivée de nouvelles techniques très précises d’examen des processus cérébraux à l’échelle neuronale.

Mais il ne fallait pas s’arrêter en si bon chemin, et cette découverte m’a permis d’étendre à l’ensemble du fonctionnement psychique, et en particulier au fonctionnement normal, le modèle théorique qui m’avait servi pour comprendre le fonctionnement pathologique consécutif au trauma infantile.

J’ai pu ainsi mettre en évidence le rôle crucial que jouent les différents modes de catégorisation psychique de la réalité que notre cerveau nous impose à notre insu, et en particulier la catégorisation binaire (partage du monde en couples de contraires) qui, comme Lévi-Strauss l’avait démontré avec brio, constitue le schème universel à la base de toutes les constructions culturelles et sociétales (mythes et rites).

Bien entendu, je me suis alors retrouvé seul avec ces idées novatrices, tout ceci restant incompréhensible pour l’immense majorité des humains empêtrés dans leurs soucis quotidiens et accrochés désespérément à leurs croyances. Mais le plus affligeant est de voir que même les intellectuels et les scientifiques restent perplexes, voire effrayés, par des vérités aussi troublantes, qui remettent en cause des siècles de croyances, de préjugés, d’utopies, de mensonges et d’illusions.

Nietzsche avait pourtant dit : « La culture nous a été donnée pour ne pas mourir de la vérité ». Or l’heure est venue pour l’humanité d’affronter cette terrible vérité, celle de l’enfance maltraitée et abusée, que personne ne veut voir ni entendre, et que Nietzsche lui-même n’a pas eu la force ou le courage de nous révéler (il suggère à demi-mot son abus sexuel par un prêtre, qui explique bien sa rage contre le christianisme).

L’humanité est à la veille de changer son destin. Une page se tourne. Les croyances meurent de leur belle mort, elles doivent laisser place aux vrais remèdes que nous saurons inventer contre la souffrance et la détresse humaines, au premier rang desquels figure la révélation des faits subis par les enfants dans le secret des maisons familiales.

Patrick Dupuis